SAINT-VIATEUR A-T-IL VRAIMENT EXISTÉ ?
Lorsqu'on se penche sur les origines de la petite ville de
Saint-Amour, on commence par découvrir une très belle
légende.
Au mois d'août 585, Gontran, roi de Bourgogne, petit-fils de
Clovis1 , revenait dans ses états en ramenant des
reliques de deux glorieux martyrs de la légion
Thébaine 15, Saint-Amator et Saint-Viator. Ces reliques lui
avaient été confiés par les moines de l'abbaye
de Saint-Maurice d'Agaune2 . A peine en possession de son
précieux trésor, il s'embarque sur le lac de
Genève pour revenir dans ses états. Mais bientôt
son vaisseau est assailli par une violente tempête et menace de
sombrer3 . Le roi fait alors le vœu, s'il en
réchappe, de fonder dans la première ville de ses
états une église et un monastère pour y
déposer les reliques sacrées et les y entourer d'un
culte spécial. Selon la tradition la tempête s'apaisa,
le vaisseau aborda le rivage et Gontran résolut d'accomplir
son vœu. Vincennes-la-Jolie, bourg frontière du royaume
de Bourgogne, fût le premier village rencontré et
Gontran fit construire une église en ce lieu. Les reliques
déposées dans une chasse en argent furent l'objet d'une
grande vénération de la part des fidèles et la
fête des saints, célébrée le 22
Août, perpétue ces événements. Mais la
première mention vraiment historique de
Saint-Amour4 est de 930, date à laquelle
l'église Saint-Vincent de Mâcon5 ,
propriétaire de l'église et du bourg, les
échangea contre des biens d'outre Saône à
Albéric de Narbonne et à ses fils. Au début du
XIIe siècle les sires de Salins, héritiers
d'Albéric, inféodèrent Saint-Amour au seigneur
de Laubespin6 . Cette famille conserva la baronnie
jusqu'au XVe siècle. Puis, par le jeu des mariages et des
héritages, les seigneurs du lieu furent successivement les
Damas, les de Toulongeon, les de La Baume-Saint-Amour et enfin les de
Choiseul qui en restèrent détenteurs jusqu'en 1789.
Parallèlement à cette légende, on peut
avancer des objections et soutenir une autre thèse sur les
origines de Saint-Amour. Son nom primitif était
Vinciacum7 et son origine antérieure
à l'arrivée des Burgondes, si l'on en juge par les
médailles gauloises et romaines que le sol a souvent
restituées. On suppose même que ce lieu était
décoré d'un temple consacré à l'Amour et
à Mercure8 , et que c'est pour s'opposer à
ce double culte, que les premières autorités
chrétiennes lui ont substitué le culte de
Saint-Amour et de Saint-Viateur9 . Gontran devait
déposer les reliques dans la première ville de ses
états qu'il rencontrerait sur son passage. Si ce prince vint
prendre la route de Genève en Séquanie, il dut arriver
d'abord à Moirans (Mauriana), qui était alors la
première cité du Mont-Joux. Après cela venait
encore Arinthod, qui était la seconde ville sur cette route de
traverse du Jura; car Arinthod, qui avait un temple
dédié à Mars Ségomon, devait avoir rang
de ville dans la Séquanie. Toutefois, il est permis de
supposer que, depuis la chute de l'Empire sous la pression des
Barbares du Nord, les deux villes précédentes fussent
détruites, et que celle de Vinciacum fût la seule
existante. Quoi qu'il en soit de cette circonstance accessoire du
voyage de Gontran, les reliques de Saint-Amator et de Saint-Viator
furent déposées à Vinciacum, dans un
église fondée par le roi de Bourgogne. Le nom d'Amator
s'est francisé dans celui d'Amour ou plutôt le nom
d'Amour a prévalu. Il y a d'ailleurs sur le territoire de
cette commune un lieu habité qu'on appelle le
Mont-d'Amour10 . C'est une particularité digne de
remarque. Mais venons-en au culte de Saint-Viateur. Au second
dimanche de Pâques et surtout au second dimanche de
Pentecôte, on célébrait autour des ruines de
l'Aubépin une fête où au soleil levant on
assistait à une grand-messe et l'on en sortait pour danser
gaiement sur la pelouse. Des foires s'en suivaient, conservant une
forte odeur du Moyen-Age. Des pratiques aussi. On se laissait glisser
sur le dos. Les voyageurs invoquaient un saint qu'ils appelaient
Garados , mot vulgaire qui signifie guérit-dos
mais qui, d'après l'Eglise, n'est autre que Saint-Odon,
abbé de Cluny. On ne peut séparer la pensée de
cette affluence de voyageurs atteints de maux de reins, de jambes
ainsi que de rhumatismes, à la chapelle de Saint-Garados, sans
songer au temps où le dieu des voyageurs11 ,
Mercure, était aussi l'objet d'un culte dans le pays.
Mercure serait devenu Saint-Viateur. Le culte de
Mercure12 le culte de Saint-Viateur.
En conclusion, on peut admettre que le roi de Bourgogne Gontran
ait déposé des reliques de deux martyrs de la
légion thébaine provenant de Saint-Maurice d'Agaune
mais ces reliques ne sont pas celles de Saint-Amour et de
Saint-Viateur. Ni l'un ni l'autre de ces saints n'ont jamais
existé. Qu'il y ait eu à l'origine un temple à
l'Amour et à Mercure est fort probable. Et on a donné
à ces reliques les noms christianisés de ces dieux
romains. Assez curieusement, le culte de l'amour
réapparaît à notre époque avec les
amoureux dus au peintre Peynet.
NOTES- Gontran (525-593), fils de Clotaire 1er, roi des Francs et dernier fils de Clovis.
- Saint-Maurice
en Valais, en Suisse, au pied du col du Grand Saint-Bernard, à un
endroit où le Rhône traverse une gorge étroite. La légion thébaine y a
été persécutée sous Dioclétien et Maximien. Le chef de la légion thébaine était
Saint-Maurice.
- Les tempêtes sont fréquentes sur le lac de
Genève. Le lac si calme et si bleu s'obscurcit, les orages grondent, un
vent violent se lève et les flots déchaînés menacent les embarcations
qui s'aventurent.
- Les plus anciens documents que l'on
connaisse sur Saint-Amour sont deux chartes datées du même jour des
calendes de janvier, huitième année du règne de Rodolphe, roi de
Bourgogne, en l'an 930. Ces deux chartes sont citées au long dans
Guillaume: Histoire de Salins, et il en existe une copie fort
ancienne aux archives de Saint-Amour. Par elles, Bernon, comte-évêque
de Mâcon, cède la ville à Albéric de Narbone et à ses deux fils, en
échange d'autres terres, et à condition que ce territoire ne pourrait
être aliéné, qu'il ferait retour, après leur mort à tous trois, au
Chapitre Saint-Vincent de Mâcon et qu'il en conserverait les dîmes même
de leur vivant: << At dominus Berno
pontifex, annuens precibus predicti comitis, contulit illi ecclesiam
Sanctorum geminorum Amoris et Viatoris, cum omnibus appendiciis, sicut
superius inserta sunt. Hactum est hoc regnante Rodulfo rege.>>. (Archives départementales de Saône et Loire)
- <<
L'évêque de Mâcon, pour accomplir entièrement le vœu du roi, établit à
Vincennes un couvent de religieux ermites de Saint-Augustin, tirés des
ermites de Saint-Pierre de Mâcon, et les préposa au culte des saints
martyrs >>. Cette opinion de Corneille Saint Marc semble
contraire à la tradition (d'après Maurice Perrod: << Le couvent
des Augustins et le Collège de Saint-Amour >>- 1897.).
- La famille de Laubespin formait une branche de la maison des Coligny, elle-même branche latérale des ducs de Bourgogne.
- Certains
prétendent que de ce nom dériverait le lieu-dit << En Vaucenans
>>, situé dans un creux de montagne au nord de Saint-Amour. Nous
pensons plutôt que Vaucenans est un nom d'origine celte, qu'il faut
couper en Vaux-Senans et qui signifie mot à mot: << la Vallée des
druides >>.
- - Dans les villes, au coin des rues, se
dressaient des statues de Mercure ou Hermès, protecteur des marchands
et du commerce, dieu des rencontres et des fortunes. Hors des villes,
c'était le dieu des voyageurs; il rassurait contre les embûches celui
qui parcourt la campagne et l'empêchait de s'égarer. Les faces du
pilier indiquaient les différentes directions. Pour que le voyageur
tirât encore quelque profit de sa halte, sur le marbre était gravée une
sentence condensée en un vers.
- - L'empereur d'Orient ayant
donné ordre de détruire les temples, Saint-Martin de Tours (395-423) et
ses émules se livrèrent à un vandalisme. Avant lui, les campagnes
demeuraient non chrétiennes mais après lui, il ne demeura plus aucune
trace avouée. C'est à cette époque que remonte vraisemblablement le
saccage et l'enfouissement de la statue d'Apollon et du calendrier
Gaulois découverts en 1897 près de la voie romaine à Coligny.
- De
nos jours, on voit encore sur les hauts-plateaux du Guatemala, les
autorités chrétiennes accepter des rites paiens avant les offices
religieux pour respecter les coutumes ancestrales des indiens.
- Il existe aussi un pont, le pont de Carlet, appelé parfois pont des Amours.
- Deux
voies romaines se croisaient sur le territoire de Saint-Amour et
justifierait la présence d'un temple dédié à Mercure: la voie romaine
de Lons à Coligny par Nanc, Villette, où elle s'élargissait (du latin: via lata ), l'Aubépin, Curny, Colonosay ( du latin: colonia sequanorum
), Graveleuse (devant la magnifique chapelle des Templiers) et Rosay.
Enfin la voie romaine de la Creuse (encore appelée levée de Jules
César) traversant Thoissia, Andelot et Arinthod. Les voies romaines
étaient jalonnées de temples.
- La même situation se retrouve à
Molain, près de Poligny, dont l'église est sous l'invocation de saint
Viard, nom vulgaire de saint Viator, et qui a dû succéder à Mercure.
Molain viendrait de mediolanum « au milieu de la terre », lieu consacré à la vierge, d'après Désiré Monnier, maid, maiden, en ancien saxon, la fille, en celtique la vierge. lain
le temple. En tout cas certainement lieu sacré. Et à côté de
Saint-Amour, où serait le mediolanum ? Nous le voyons dans le Mont-Myon
qui possèderait la même étymologie (ainsi que Montmélian et Milan !).
le Mont-Myon a certainement dû être un lieu de rassemblement sacré.
- Au
pied du Mont-Myon passe une voie romaine. A Molain se trouve la forêt
des Moidons, traversée par un grand chemin, que l'on croît romain, et
qu'on appelait la vie blanche, parce qu'il était très fréquenté.
- Etude critique sommaire de cette légende: elle a été faite par un
chanoine et théologien de l'église de Turin, Gugliemo Baldesano di
Carmognola. et publiée en 1589. A l'origine, le récit de la "Passion
des martyrs d'Agaune" a été écrit par Saint Eucher, évêque de Lyon,
dans la première moitié du Ve siècle et repris par Grégoire de Tours.
Le martyre aurait eu lieu sous le règne conjoint des deux empereurs
romains Dioclétien et Maximien (285-305). Saint Maurice et sa troupe
n'auraient pas accepté de sacrifier aux idoles, comme le montre une
fresque du choeur de l'église de Saint Amour. Le lieu du martyr se
trouverait à Vérolliez, au sud de Saint Maurice en Valais. Des fouilles
archéologiques récentes dans la chapelle des martyrs attesteraient la
présence d'un lieu de culte dès le Moyen Age. Dans la chapelle se
trouve un baldaquin soutenant par une grille de fer, la "pierre des martyrs".
Les pèlerins malades se plaçaient sous cette lourde dalle pour demander
des guérisons. Cette tradition historique est donc toujours discutée.
On a retrouvé sur les lieux des restes romains, notamment une statue du
Dieu Mercure, ce qui confirmerait encore la succession des religions si
souvent observée.
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Colonne de pierre d'origine inconnue gisant près de la porte de Cuiseaux à l'entrée de Saint-Amour |
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Ensemble qui pourrait être une colonne de Mercure |
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Inscription à Mercure à Saint-Rémy du Mont |
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Inscription à Mercure au temple d'Izernore |
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V.S.L.M: Votum soluit libenter
meritis.

Colonnes du temple dédié à Mercure à Izernore |
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